Quoi de plus triste que la
routine, qui s'installe, jour après jours, lorsque l'on est un homme seul, que
l'on a 40 ans, et que l'on a un boulot que l'on aime qu'à moitié? Rien.
Sauf peut être, la mort de son chat, ce
matin écrasé, par une de ces grosses voitures américaines que Guillaume
détestait. Ces gros 4x4 qui polluaient notre bonne vieille terre. Son chat, il
l'aimait plus que tout. A vrai dire, il n'avait plus que ça. Son chat. Ses
parents étaient morts dans un accident de voiture auquel il avait miraculeusement
échappé. Plus de grands parents, fils unique. Il ne connu que l'orphelinat, et
à ses dix huit ans, il sorti de là bien décidé à avoir une belle vie, une belle
femme, une belle maison. Mais quoi de plus puéril que quelqu'un qui s'acharne Ã
trouver le bonheur, alors que celui-ci arrivera lorsqu'il ne s'y attendra
pas ? Il entra dans sa voiture, la mine plus attristée que les autres
jours. Il parti travailler. Il recula pour sortir de son garage. Il avait la
fâcheuse habitude de rentrer sans faire de manœuvre. Alors, le matin, il
fallait manier le volant dans tout les sens pour sortir sa vieille Peugeot du
garage. Il recula, encore, à gauche… Et non ! Trop. Il heurta le par-choc
d'un bolide qu'il n'avait manifestement pas vu. Une femme sortie de sa voiture,
plus rouge que du piment, et l'incendia.
-Mais je vais être en
retard ! Et pour bien commencer la journée, un abruti me rentre dedans.
Non mais, Dear god, t'es pas de mon côté aujourd'hui !
Comme si houspiller Dieu
allait changer quelque chose. Mais cette femme de caractère lui plaisait. Et
son accent anglais la rendait irrésistible.
-Veuillez… Je suis sincèrement
navré.
-Des excuses ! Et les
hommes se sentent puissant avec des excuses ! Faut faire un constat, tout
ça, moi, je n'ai pas le temps, prenez mon numéro, appelez moi ce soir sans
faute I'm too busy !
Elle lui donna sa carte de
visite, s'engouffra dans sa voiture et démarra en trombe.
-Quel ouragan !
Quelque chose venait
d'embellir le quotidien de Guillaume, un peu trop monotone à son goût.
Il arriva à l'agence. Il
devait encore voir quelle fille serait la mieux pour tel ou tel photo de ce
nouveau créateur… Il s'en fichait, il désirait autre chose. Avant, il aurait
tout donné pour la mode. Mais voir défiler des femmes sublimes dans son bureau,
et rester seul… Cette idée l'insupportait. Depuis quelques mois, il voulait
quitter son poste. Démissionner. Il avait accumulé assez d'argent pour se payer
une bonne retraite avancée à 40 ans. Il songeait déjà à ces îles somptueuses Ã
découvrir, parcourir le monde, les théâtres, les ventes aux enchères, les
musées, sans course contre la montre. La solitude le rongeait, comme un petit
chat qui fait ses griffes sur un bout de carton, Ã la fin il ne reste plus
rien, tout est trop abîmé, il ne reste qu'un maigre squelette, le cœur de ce
pauvre carton, déchiqueté par un minuscule fauve. Il avait peur que cette
solitude indésirable lui broie le cœur et qu'il finisse acariâtre. Pire qu'une
belle mère ! Et encore, comment pouvait-il dire ça, il n'avait jamais eu
de belle mère. Peut-être est-ce bien une belle mère, après tout. Elle peut nous
faire des gâteaux pour le Dimanche midi lorsqu'elle aurait pu venir avec mon
beau père. Ses rêves sont si loin. Il sort de son bureau, dépité.
Rêver, cela prend du temps. Il
était déjà midi passé. Guillaume avait faim. Comme d'habitude, il campait à la
taverne de Jean pour le déjeuner, avec son collègue Guy. Guy, la réussite.
Une femme, une si belle femme… Deux enfants, une fille, un garçon. Une maison,
un jardin, un chat. Guy n'était pas heureux car il possédait un toit, un jardin
et un travail assez consistant pour subvenir à tous ses besoins, non, Guy était
heureux car il aimait son travail, il aimait sa femme, il aimait ses enfants,
et ils le lui rendaient bien. Pour lui, l'argent ne faisait pas le bonheur, il
y contribuait seulement. L'argent, c'était la reine des fourmis qui lui
permettait de bien faire tourner sa fourmilière. Cet homme était doué. Guy,
n'est ce pas un prénom d'homme doué ? La mode ne lui était pas destinée. Il
était plutôt fait pour la musique, et toutes ces choses ‘futiles'. Il avait
arrêté tout ça, car il disait que ça l'incommodait. Et puis sa femme, malgré
ses belles joues roses, détestait la musique. Guy par amour, s'arrêta. Guillaume
l'enviait. Lui, il n'était doué pour rien. Même pas pour chanter Joyeux
anniversaire à son chat. Ni à personne. Il n'aimait pas l'air de Joyeux
anniversaire. Il n'était pas doué pour recoudre le bouton de son manteau, il
avait dû le faire recoudre chez la couturière de l'agence. Comme d'habitude, il
mangeait une salade composée. Avec deux œufs durs. Du maïs, de la tomate, de la
mozzarella, de la salade, et des olives noirs sans noyaux. Il s'était cassé une
dent à cause d'une olive verte avec un noyau, et depuis ce jour, il décida de
ne manger que des olives noires dénoyautées.
-Tu m'écoutes ?
-Je ne sais pas, excuse moi,
je… je suis navré, tu disais ?
-Je savais bien que je ne
devrais pas te demander conseil là -dessus ! J'ai 40 ans et c'est comme si
ma femme en avait 60 alors qu'elle en a 5 de moins que moi... Toute sa libido
est tombée !
Non, Guillaume n'était pas la
personne appropriée. Il faisait l'amour une fois par an avec une femme
rencontrée dans un bar, alors, c'était vraiment la mauvaise personne à qui
demander conseil.
-Essaye… Je ne sais pas
surprend là , mets de roses sur le lit, et dis lui que tu l'aimes, et puis tu
mets du Chopin en fond, ou du Barry Wh…
-Tu es trop romantique, et
elle déteste la musique! Tu es sûre que tu es un homme ?!
Guy n'était pas parfait. Il
résonnait comme une bête affamée.
-Oui, merci, j'ai encore des
couilles, mais moi je me demande si les tiennes ne se seraient pas déplacées
dans ton cerveau ! Tu ne me parles que de ça, tu ne veux pas changer de
registre ?!
Guillaume avait du répondant.
C'est pour cela que dans son équipe du boulot, on l'aimait bien. Il avait la
poigne et savait diriger des employés.
Il finit sa salade et alla se
brosser les dents d..s les toilettes du petit restaurant. Il aimait que sa
bouche soit parfaite, et qu'il n'y ait rien de dérangeant pour une future femme
hypothétique. Ses dents étaient extrêmement blanches. Il aurait pu tourner pour
une de ces pubs pour du dentifrice, vu le sourire extra brite qu'il entretenait
en vain, puisqu'il n'était toujours pas marié. Il paya Jean et retourna dans
son bureau.
-Quel beau mannequin vais-je
embaucher aujourd'hui… ? Quelle belle fille je vais faire pleurer alors
que je ne lui annonce même pas que son ‘boyfriend' la quitte ?
Il avait prit l'habitude de
dire quelques mots en anglais, à cause de toutes ces américaines refaites qu'il
détestait.
Il remarqua cette brune, au
regard rubis, aux longs cils.
-Faites la entrer.
La jeune fille pénétra dans la
pièce sans faire de bruit. Un petit chat qui s'installe sur un lit. Elle regardait
partout autour d'elle, comme ébahi.
-Hello. I'm Guillaume. And you are?
-Heum. Estrella, my name is Estrella. But I speak
french, a little...
-Ah, ok! Let's go. Je peux
faire l'entretien en français ? Nous sommes en France, et je voudrais
tester votre capacité d'adaptation au pays et surtout à notre langue. Vous débutez
dans le mannequinat ?
-Please, could you speak… More
slowly ?
-Ok.
Il n'était pas très bon en
anglais, malgré toutes ces coopérations avec ses compatriotes d'outres mers.
-How many years did you begin to be a model?
-Sorry...
-Louise! Venez ici, c'est
infernal, elle ne comprend pas un traître mot de ce que je lui dis. La
traductrice, maintenant !
Il était exigeant avec son
entourage.
Elle avait de bonnes
remarques, elle était dans une bonne agence, et il la voyait bien en couverture
de Vogue ce mois prochain. C'était une espagnole. Il aimait les filles du Sud
et leur teint foncé. En plus, son nom signifiait ‘étoile'. Peut être SA future
étoile.
Il l'emmena dîner dans un
grand restaurant du XVIème arrondissement dans lequel il avait ses habitudes.
Il aimait l'entendre parler français avec son accent ibérique qui le faisait
frissonner. Elle lui expliqua qu'elle travaillait comme mannequin pas par
passion, mais par obligation. Un jour, on l'avait repéré dans un village des
Asturies, sa beauté était la seule chance d'aider sa famille. Elle aimait
beaucoup les chats, comme lui, et elle ne pratiquait pas son métier par
plaisir, comme lui.
Après le dîner, il se coucha.
Il était heureux d'avoir rencontrer quelqu'un comme lui. Elle était jeune,
belle, et avait tout le talent possible pour y arriver. Elle y arriverait et
portait bien son nom. Elle avait rencontrer un homme qui n'aimait pas ce qu'il
faisait, sauf lorsqu'il croisait des âmes aussi perdues que la sienne, qui
exerçaient un métier par nécessité, pas par passion.
Il eu la plus belle journée
depuis sa sortie de l'orphelinat, il savait que cette fille serait son étoile.